jeudi 15 janvier 2009

La question de la coiffeuse



« Qu’est-ce qu’on fait ? »

Léa connaissait bien cette question de la coiffeuse, elle essayait d’y répondre sans erreur depuis l’âge de 11 ans. Elle était affectée d’une couleur de cheveux qui l’avait amenée à multiplier les expériences ; ni franchement blonds, ni complètement châtains, ses cheveux éclaircissaient radicalement en été, la laissant le reste de l’année avec des racines que Florent Pagny n’aurait pas reniées. Elle était donc entrée assez jeune dans l’infernal cycle des mèches, balayages, flashes et autres « coups de soleil ». Arrivée à un âge passablement adulte, elle choisit son camp, et décida d’aller là où son cœur la portait, c’est-à-dire du côté de celles qu’on remarque moins, des discrètes, des châtains en somme. Elle était loin de s’imaginer qu’on abandonne pas le monde des bimbos aussi facilement, et que son parcours serait semé d’embûches.

Comme elle était encore étudiante, elle commença par se rendre au salon d’entraînement Jacques Dessange, où les futurs coiffeurs s’entraînent sur la tête des courageuses et des fauchées. Sa première tentative de châtain se solda par une sorte de roux que la coiffeuse nomma « bois ciré ». Celle-ci avait été chaleureusement félicitée par son professeur qui venait vérifier le résultat, et Léa n’osa pas dire qu’elle n’avait pas choisi sa couleur sur un pantonier Ikea.

Quand son pouvoir d’achat lui permit, elle alla chez Dessange, le vrai. Elle expliqua à Kathia, la coloriste, son désir de retrouver une couleur de cheveux plus naturelle (un paradoxe lorsqu’on s’apprête à faire une couleur, mais Léa savait qu’elle s’adressait à Dessange, l’inventeur du « blond bébé »). Kathia, tout en faisant sauter quelques mèches dans un geste que seuls les professionnels maîtrisent, affichait une moue sceptique.
« Mais ça vous va bien au teint cette couleur… Ce serait vraiment dommage d’abandonner le blond… Votre visage sera plus triste, moins rayonnant.. »
Léa avait beau essayer de défendre son choix, Kathia restait de marbre. Elle feuilleta un catalogue, et pointa un modèle aux cheveux franchement bruns.
« - Ça vous plait, cette couleur ?
- Non, là c’est quand même un peu trop foncé…
- J’en étais sûre ! Vous voyez, vous n’êtes pas prête. »
Léa était sortie de chez Dessange allégée de 180 euros, et toujours aussi blonde.

Même expérience avec Priscilla, chez Coiffirst. Priscilla l’avait immédiatement mise en confiance en l’assurant qu’elle avait très bien compris sa requête.
« On va avoir un résultat super naturel tu vas voir, ma belle. Tu as le cheveu fin, dis donc ! ».
Léa savait qu’il ne fallait pas demander : « Lequel ? ». Parler des cheveux au singulier fait partie du jargon des coiffeurs.
« Baisses la tête, tu comprends ma belle ? »
Léa comprenait bien, et commençait à se douter que Priscilla la prenait pour une conne. 120 euros plus tard, elle sortait de chez Coiffirst. Blonde. Nul doute pour Léa qu’il s’agissait d’un complot. Si décidée qu’elle fût à ne pas retourner chez l’un de ces pervers, la repousse des cheveux et les inévitables racines qui l’accompagnaient l’amenèrent pourtant à réitérer l’expérience, la mort dans l’âme. Et c’est ainsi qu’elle comprit comment certaines personnes en viennent à devenir des clients aigris, voire agressifs. Elle qui avait si souvent soupiré en entendant des gens faire des scandales (au McDo par exemple : « Ah oui, alors là bravo, FAST food, ah ça on peut dire que vous êtes fast vous ! »), elle accueillit sa nouvelle coiffeuse, Melissa, avec une déclaration de guerre :
« - Qu’est-ce qu’on fait ?
- Alors écoutez-moi bien. Je ne veux pas entendre parler de vos produits ‘qui gainent le cheveu sans l’alourdir’, ni du ‘coup de soleil qui donne un effet de volume’, et encore moins du ‘on coupe juste les pointes’ qui ajoute 60 euros à la note finale ! Je vous préviens, je ne plaisante pas du tout ! Je veux une non-couleur, je veux avoir les cheveux ternes et sans relief, et je veux sortir de cet endroit avec la certitude absolue que je n’aurai jamais à remettre les pieds chez vous, ou chez l’une de vos consoeurs avec un prénom qui finit en « a ». Vous ne m’aurez plus, c’est fini, vous m’entendez ? C’est fini ! ».

Pendant que Melissa était partie chercher ses produits, Léa réalisa que jamais une coiffeuse de cinq ans sa cadette et qui venait de se faire incendier sans raison ne la sauverait de sa misère capillaire. Elle l’imagina entrain de cracher dans la préparation, ou pire, entrain d’ajouter quelques gouttes de coloration rousse au mélange. Elle retira sa blouse et fila sans un mot.

Les coiffeurs l’avaient vaincu, elle abandonnait le combat. Elle n’avait plus qu’à assumer sa ressemblance avec Cindy Lauper. Les salauds.

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