mercredi 19 août 2009

dimanche 17 mai 2009

Devenir une ascète sur www.monamiechomeuse.com

Autant le dire, je souffre de migraines qu’on a souvent qualifié d’ophtalmiques (même si le lien avec les yeux reste à prouver) : je commence par être aveuglée, puis l’image se brouille comme si mon antenne ne captait plus, et enfin mon champs de vision se réduit de moitié. Quand ces symptômes apparaissent, c’est Fort Boyard : j’ai une dizaine de minutes pour trouver un médicament et un lit dans une pièce au calme. Un jour, en plus de me transformer en Gilbert Montagné, je me suis également mise à parler comme le monsieur du 8ème Jour, ce qui m’a conduite directement aux urgences parce que ça a fait peur à tout le monde. Un scanner plus tard, on m’a certifié que je n’avais rien à la tête (et non « dans » la tête, nuance). C’est alors qu’a commencé la quête d’une vie et dont vouic-la-cache s'est bien souvent fait le relais, pour trouver l’origine de ces migraines.

Bien sûr, j’ai envie de trouver la voie de la sagesse, de me réconcilier avec moi-même et avec l’univers. Mais ce qui m’a conduite chez les acuponcteurs, ostéopathes, orthoptistes, podologues, orthophonistes, coachs, posturologues, yogis, psychologues, gourous en tout genre, c’est avant tout le désir d’en finir avec les crises de Gilbert.

C'est la raison pour laquelle "devenir une ascète" fait partie des grands chantiers existentiels de www.monamiechomeuse.com

vendredi 15 mai 2009

Dédicace à Etien

Mon amie chômeuse fait de la pub

Il semblerait que nous traversions une sorte de crise économique, peut-être en avez-vous entendu parler. Moi qui ai toujours eu le nez creux, c'est le moment que j'ai choisi pour changer d'orientation professionnelle et enfin me destiner au monde merveilleux de la culture et des lettres. Fatiguée d'entendre que mon CV était absolument stupéfiant mais que non merci, j'ai décidé d'inventer mon propre métier, et de devenir chômeuse professionnelle.

Être au chômage ne signifie pas (nécessairement) faire corps avec son canapé, c'est aussi la meilleure période pour initier de grands chantiers existentiels. Les miens se déclinent autour des trois axes suivants : devenir érudite, devenir une ascète, et tenter de nouvelles expériences. Vous qui travaillez, vous n'avez pas le temps de déambuler dans les expos de Paris, de regarder l'intégrale de Fritz Lang, de tenter un jeûne ou d'accompagner une classe d'enfants dans le Cantal. Moi, si, et je vous propose d'être l'éclaireur qui vous donnera un aperçu de ces expériences.

Si vous ne savez pas ce que vaut le livre que vous aimeriez offrir à Chantal, vous pouvez d'ores et déjà vous rendre sur www.monamiechomeuse.com et soumettre vos requêtes.

PS : Vous pouvez également devenir mon amie sur Facebook (Mon Amie Chômeuse), ça me ferait plaisir.

lundi 11 mai 2009

Mais pourquoi ?



Quand j'étais en Seconde, je me suis laissée convaincre par mon amie Noémie de prendre des cours de chinois. Plusieurs facteurs ont eu raison de ma motivation au bout d'un an :
- nous étions les deux seules non-chinoises de la classe. Tous les autres étaient déjà plus ou moins bilingues, ils venaient pour avoir le droit de passer l'option chinois au bac et s'assurer un 18/20 facile. Nous étions souvent prises dans des joutes verbales en V.O. entre la professeur et les rebelles assis au fond,
- Noémie était plus forte que moi,
- les cours se déroulaient le mercredi de 18H à 20H.

Je suis néanmoins restée fan de la langue et de la culture chinoise, et en septembre de cette année, j'ai décidé de recommencer. Je me suis donc inscrite au CNED, et avec une discipline de fer, je mets mon CD tous les matins et répète vaillamment ce que disent mes professeurs virtuels. Parfois j'emmène mon livre de leçons dans le métro et autour de la station Belleville, je commence à avoir de brèves discussions en chinois avec mes voisins ("Oh ! Tu apprends le chinois ?" "Oui, je apprends le chinois, je ne parle pas bien le chinois").

La semaine dernière, j'étais aux Galeries Lafayette Gourmet avec ma mère qui m'a proposé de prendre un petit en-cas au rayon "traiteur chinois". Encouragée par mes sympathiques rencontres dans le métro, je me lance : "Ni hao, ni zenmeyang ? wo xiang zher !" (Bonjour, comment allez-vous ? je voudrais ceci !"). Je suis contente de mon effet, ma maman est impressionnée. Et là, catastrophe :
" - Pardon ?
- ... Vous ne parlez pas chinois ?
- C'est parce que j'ai les yeux bridés que vous supposez que je parle chinois ?
- ... et aussi parce que vous travaillez au rayon traiteur chinois ?
- Et bien vous voyez, je ne parle pas chinois. Auriez-vous l'amabilité de passer votre commande en français s'il vous plait ?".
Humiliée de passer pour une raciste de base auprès des gens qui attendaient dans la queue, j'ai pointé en silence les raviolis aux crevettes.

Quand on tape "chinois" sur Google image, la première photo qui sort, c'est celle que j'ai mise en illustration. Et après c'est moi qui suis raciste. Salauds.

lundi 4 mai 2009

Série : on nous prend pour des cons




Catastrophe mondiale : après les poulets, les cochons.
Attention tout le monde, c'est extrêmement dangereux, tout contact physique avec du jambon is strictly forbidden, nous vous déconseillons formellement de parler espagnol, c'est très sérieux, la grippe porcine est en marche et rien ne l'arrêtera, restez chez vous et priez.

(- Euh, Michel, en fait on s'est gouré, ça n'a rien à voir avec les cochons...)


Oyez ! Oyez ! En fait c'est pas les cochons, c'est la terrible, la terrifiante, l'abominable... grippe A ! Tremblez, braves gens, on compte déjà 5 CAS (probables)EN FRANCE ! Des gens (peut-être) gravement malades, avec nez qui coule et tutti quanti !

(- Non mais Michel, tu crois vraiment que ça va marcher ?
- De quoi ?
- Ben cette histoire d'épidémie pour faire oublier aux gens qu'ils sont dans la merde...
- T'occupes, je te dis que ça marche. )

jeudi 30 avril 2009

La classique



Il y a toujours des moments où on est un peu mal à l'aise dans le métro.
(Note : l'auteur fait une légère fixation sur le métro, c'est vrai. C'est tout simplement parce que c'est le seul moment de sa journée où il lui est donné de croiser d'autres êtres humains. Merci de votre indulgence.).
Exemples :
- Quand quelqu'un rentre dans le wagon et demande une pièce de monnaie siouplé, on a toujours le réflexe de regarder dans son portefeuille en se disant "c'est vrai ça, est-ce que j'ai de la monnaie pour m'acheter un petit financier", et bien sûr, ce n'est pas le moment de compter ses sous, parce que la personne va évidemment croire que c'est pour elle qu'on cherche, alors que non.
- Quand on rentre dans le métro avec un copain qui va dans la direction opposée, et qu'on continue à se parler chacun sur son quai. C'est toujours la rame du copain qui arrive en premier : on fait au revoir, pour peu qu'on soit un peu bourré on fait semblant de descendre un escalier imaginaire, on court sur le quai quand le train démarre, on rigole avec l'autre qui fait des signes à travers la vitre, et quand on se retrouve tout seul sur son quai avec les autres voyageurs qui vous regardent l'air navré, on est comme un con.
- Quand on est sur le quai à attendre le métro, et qu'on voit un copain sur le quai d'en face. On crie : "Youhou !", tout le monde a entendu, sauf le copain en face. On insiste : "Youhou ! Poufi !" (c'est souvent un surnom ridicule), mais on n'arrive toujours pas à attirer son attention. Alors on sort son téléphone et on l'appelle, prêt à faire de grands signes en disant : "Je suis en face ! Regarde !"), et là on voit Poufi qui sort son téléphone de sa poche, qui regarde le nom s'afficher, et qui remet le téléphone dans sa poche. Et on fait semblant de ne pas remarquer les trois ados qui ont suivi toute la scène et qui se bidonnent franchement.
Je serais tentée de dire "vie de merde", mais c'est déjà pris. Les salauds.

mercredi 22 avril 2009

Ingrats



Station Miromesnil, je marche vers la correspondance pour la ligne 9. Je dépasse le 1er escalier sans le prendre parce que je sais que plus loin, il y a un escalator (god bless les escalators). Dans ma rêverie, je ne remarque pas que les flemmards qui se dirigeaient comme moi vers l'extrémité du quai sont maintenant entrain de rebrousser chemin. Et pour cause : l'escalator est en panne, une barrière en empêche l'accès (god damn les escalators en panne). Je fais demi-tour en me disant, furieuse, que les deux types de devant auraient pu me prévenir et me dispenser des 20 mètres qui m'ont amené au triste constat. C'est alors que je croise un jeune couple qui arrive en sens inverse :
"L'escalator ne marche pas", leur dis-je, bonne samaritaine.
Ils me regardent sans un mot, interdits.
"L'escalator, il est en panne !" Pas de réaction. "The escalator is broken, kaput, non funziona !", je fais des grands gestes, je mime la mort, j'y mets tout mon coeur.
Le jeune homme finit par me dire : "D'accord... Mais on allait juste s'asseoir sur les sièges, là, derrière vous...".
...
"Oui, ben c'était pas très clair", dis-je en tournant les talons.

mardi 21 avril 2009

Sans voix.

Je suis allée voir Let's make money avant-hier, un documentaire sur le système financier qui te donne envie d'en finir et de mettre ta tête dans le four une bonne fois pour toutes. Mais ce qui me fait penser que notre monde est vraiment foutu, c'est ça :

mardi 14 avril 2009

«C’est qui Barack Obama ? C’est ton prophète ?» Oumayma, 6 ans.

Après 12 jours passés dans le Cantal avec 36 enfants originaires de Villiers-le-Bel, je me sens comme Ingrid Bétancourt après sa libération.

Précisons ici que je n’étais pas exactement la candidate idéale pour occuper la fonction d’ « accompagnatrice » :
- je n’ai ni mon brevet de secouriste, ni mon BAFA, ni quoi que ce soit qui m’autorise à être en contact avec des enfants. En général, après un week-end passé avec mon frère et ma sœur, je jure solennellement que je n’aurai jamais d’enfant.
- je ne suis jamais partie en colonie de vacances. Pire, je préférais passer des journées entières à faire du trampoline (seule), plutôt que d’aller au Club Mickey avec les enfants de mon âge.
- je n’ai jamais été en contact avec la misère sociale. Je parle ici des adultes que j'ai croisé, et non des enfants. J’ai bien regardé Star Academy quelquefois, mais même ça, c’est loin du compte.

Après 8 heures de car, et le record du vomi emporté haut la main par le petit Ajae (7 vomis au total, soit presque un toutes les heures), nous avons été accueillis par le directeur du centre, Ben, et ses deux acolytes, Armand et Anne. Nous avons découvert le monde fabuleux des professionnels de l'animation. La démarche de Ben laissait penser qu’il avait beaucoup porté de palmes dans sa vie, il était affecté par un strabisme divergent et par un sévère problème de dentition, mais l’élément le plus déterminant de son look, c’était cette minuscule queue de rat qui lui pendait dans la nuque : un millimètre d’épaisseur, 2cm de longueur, je ne sais même pas comment il faisait pour les attacher ni où il trouvait des élastiques aussi minuscules. Armand nous a souhaité la bienvenue dans une langue inconnue (« Alors nous on s’occeupe de la vie quot’ et des temps calmes, pour le 5ème repas ça se passe là-bas dans le bâtiment du fond. A teu de suite, on se retreuve après l’inventaire ! »), pendant qu’Anne enseignait sa 1ère chanson aux enfants (« Un jour dans sa cabane, un tout petit petit bonhomme… »).

Fanny, ma co-accompagnatrice et amie, et moi-même, partageons la conviction que personne ne sera vraiment en mesure de comprendre ce que nous avons vécu dans ce centre de vacances. J'invite ceux qui aimeraient en savoir plus à lire W ou le souvenir d'enfance, de Georges Perec.
Retenons cependant ces quelques leçons :

1. L'humilité

Exemple 1 : Cynthia me soutenait que les blancs ne savent pas danser, j’ai voulu faire une blague en citant Michael Jackson en contre-exemple, mais elle ne savait pas qui c’était. En revanche elle connaissait les Bee Gees, va comprendre. J’ai fait de mon mieux pour démentir ses propos, mais ma démonstration de Tectonik a été accueillie par des « Pffff… » désespérés.

Exemple 2 :
« - Tu es quoi, toi ?
- Je suis française, comme toi.
- Oui mais tes parents ils viennent d’où ?
- De France également.
- Comme Fanny ?
- Comme Fanny.
- Mais pourquoi vous êtes pas de la même couleur ?
- Parce que Fanny rentre de Thaïlande, et que moi j’ai pris un coup de soleil. »

Exemple 3 :
« - Qu’est-ce qu’elles ont tes jambes ?
- Rien, pourquoi ?
- Si, elles sont déformées !
- Mais non, ce sont mes mollets.
- Woua !!! Ils sont énormes ! »

2. La patience

Un enfant de 6 ans la nuit, ça fait pipi, ça vomit sur son doudou sans raison apparente, ça tombe de son lit. Un enfant de 6 ans originaire de Villiers-le-Bel, c’est encore plus rigolo : ça dit « putain fais chier merde » quand ça tombe de son lit, et ça fait pipi sur les murs de la salle de bain.

3. La différence

Une maîtresse de CE1, ça a le même âge mental que ses élèves (« Bérangère, tu veux pas sortir les goûters que t’as planqué dans son sac ? Ils ont faim, là. »)

dimanche 5 avril 2009

Voyage avec une classe de CP-CE1 - morceaux choisis

"- Comment il s'appelle ton doudou ?
- Jean-Pierre Benjamin.
- ... Ah... Et le tien ?
- Lascar !"

"Je vais mettre ma bite dans ton cul".
Jorgen, 8 ans, s'adressant à Maroua, 7 ans.

"La Turquie c'est super loin, c'est en Angleterre."

"Les Musulmans vont tous au Paradis, et les Chrétiens vont tous en enfer. Si, c'est mon père qui me l'a dit."
Oumayma, 6 ans.

"Le maître, il m'a décapoté".
Sukru, 6 ans, en sortant des douches.

"Et ben moi, mon papa, il me tape avec une ceinture !"
Shalini, 6 ans.

"Je te dis un secret, tu me jures que tu le répètes pas ? Quand on me fait des guilis, je fais pipi."
Doria, 7 ans.

mardi 17 mars 2009

La saga des médecins, Chapitre CVIII : l’orthoptiste

Je passe sur l’orthophoniste 2, un homme aux pouvoirs étranges qui en 10 minutes a réussi à me faire avouer l’existence de mon compagnon de toujours (« M », plus bas en photo dans son bain). Je refuse de penser que « M » a un rapport quelconque avec mes problèmes de dents, je préfère faire comme si je n’avais rien entendu, quelles que soient les conclusions qu’on peut en tirer sur ma maturité.


Définition de l’orthoptie : La vocation de l'orthoptiste est le dépistage, la rééducation, la réadaptation et l'exploration fonctionnelle des troubles de la vision. Sa fonction s'étend du nourrisson à la personne âgée.
L’orthoptiste fait pratiquer des exercices qui ressemblent (exactement) à ça :


« - Alors, Madame E (l’orthoptiste m’appelle madame, c’est ainsi) qu’est-ce qu’il se passe aujourd’hui ? Vous y arrivez moins bien que d’habitude… Vous êtes fatiguée ? Vous avez beaucoup travaillé ce matin ? »
J’ai dormi 11 heures et j’ai regardé Gossip Girl, est-ce que ça compte ? me demandé-je.
« - Détendez-vous bien les yeux. »
J’use de tout mon pouvoir de conviction : allez les yeux, repos ! On s’étire, on se calme, on respire à fond…
"- Maintenant, on essaie de converger, Madame E, c'est parti."

Grâce à l’orthoptiste, j’ai un nouvel élément à ajouter à la liste des choses que je ne sais pas faire.

Liste des choses que je ne sais pas faire :
- Je ne sais pas siffler, tous ceux qui m’ont vu essayer ne me regarderont plus jamais comme avant.
- Je ne sais pas crier « Wouhou ! » pour manifester ma joie à un concert. J’ai toujours la voix qui déraille. Je n’arrive à faire que « Yiiiha ! » comme un cowboy, mais c’est ridicule (sauf au spectacle Buffalo Bill à Disneyland, mais ça fait longtemps que je n’y suis pas allée).
- Je ne sais pas bouger mon annulaire sans bouger les autres doigts. Je trouve ça profondément triste de ne pas avoir de contrôle sur ses propres doigts.
- Je ne sais pas faire le pont.
- Et enfin,
je ne sais pas converger de loin.

Parfois, l’orthoptiste et moi, nous nous payons de bonnes tranches de rigolade :
« Vous avez une toute petite distance interpupillaire ! Comme les enfants ! C’est rigolo comme tout ! ».

mardi 10 mars 2009

L'épisode de dessin animé

Ligne 1 du métro parisien. J’étais appuyée contre un strapontin, le météor© filait à vive allure, quand soudain il s’est mis à freiner si fort que chacun s’est accroché pour ne pas chuter. Je n’ai pas eu le temps de contorsionner mon bras pour me retenir, et me voilà poussée par cette extraordinaire force centrifuge, je fais des petits pas malgré moi, je me dis « tiens c’est rigolo, je n’arrive plus à m’arrêter », je regarde à droite et à gauche, mais aucune barre ne vient à mon secours, et je continue mon parcours, je menace de m’échouer tranquillement sur les genoux de la dame assise en face (elle est dans le sens inverse de la marche, la veinarde, elle n’a aucun problème à rester assise sur son strapontin), je me dis « ben merde alors je vais traverser tout le wagon comme ça », et le métro qui n’en finit plus de freiner… Et là un gentil monsieur m’attrape par le bras pour mettre fin à la tyrannie des lois de la physique, et le métro s’immobilise enfin. « Ça va ? » me dit-il. Une scène digne de Titanic. J’ai dit « merci, ça va, oui ». Je suis retournée à ma place initiale en gloussant. Bien sûr et comme toujours dans ces cas-là, on est si démuni, même mon sauveur a repris la lecture de son journal comme si de rien, me laissant sombrer dans un fou rire solitaire. Je me suis dit que c’était quand même sympa le métro.

samedi 7 mars 2009

Check-up : L’orthophoniste 1

Le cabinet de l’orthophoniste 1 était minuscule. Il était meublé d’une minuscule table et deux minuscules chaises ; c’était très bizarre, et Alice-au-pays-des-merveilles (que je n’avais jamais vraiment portée dans mon cœur) eut soudain toute ma sympathie. Je m’attendais à voir arriver une personne de très petite taille, ou un enfant déguisé en docteur. Mais non, la dame qui entra dans la pièce avait 50 ans passés, et mesurait bien 1m55 (et je ne laisserai personne dire que c’est tout petit car c’est la taille moyenne de l’ensemble de ma famille, hommes compris). L’explication était ailleurs, et je la découvris bien vite. La dame s’assit sur la toute petite chaise en face de moi, et me posa la question suivante :
« Quel âge as-tu ? »
1- J’admettais volontiers que l’âge soit une donnée médicale importante, mais cette entrée en matière me parut suspecte.
2- Elle m’avait tutoyée d’emblée ; même si je me flatte d’une certaine bonhommie naturelle, c’était inhabituel.
3- Enfin, elle avait posé cette question avec le même ton que Chantal Goya.
Qui endure tous les jours autant d’outrages dans une même phrase ? Les enfants. Orthophoniste 1 ne recevait dans son cabinet que des enfants, et elle était secouée.



Elle s’empara d’un livre dont les pages faisaient ½ centimètre d’épaisseur, et l’ouvrit sur l’illustration d’une bouche où tous les éléments clé étaient fléchés. Après m’avoir rappelé ce qu’étaient le « palais »et « la « langue », elle me proposa une série d’exercices. Le premier consistait à répéter « chou-zi » une cinquantaine de fois en exagérant les syllabes. Puis elle me mit dans la bouche une vignette attachée à un fil, et me demanda de retenir la vignette à la force de ma langue en la pressant contre le palais, pendant qu’elle tirait sur le fil. A la fin de la consultation, elle me recommanda d’écraser des chewing-gums sur mon palais dès que j’en avais l’occasion pour muscler ma langue.
J’avais des doutes sur l’efficacité de ces techniques, mais l’orthodontiste 2 avait été formelle : sans rééducation de la langue, je serais forcée de porter ma gouttière 24H/24. Or, je travaillais à l’époque chez L’Oréal. Je m’étais déjà fait surprendre entrain de somnoler en pleine réunion, je ne pouvais pas prendre le risque de baver aussi. Quel sort m’avait-elle jeté pour que je retourne encore deux fois dans son antre de Minimoys avant de prendre rendez-vous chez un autre orthophoniste ? Les restes d’une fascination morbide pour Chantal sans doute…

mardi 3 mars 2009

Liberté - égalité - rétention des portes



Etait-ce à cause du chômage ? Etait-ce à cause de la crise (même la grand-mère de Léa lui avait livré son analyse: « Ah bah ça, c’est la cata dans tous les secteurs, entre les voitures, l’immobilier, l’automobile… »)? Léa radicalisait ses positions.
Samedi soir, minuit et demi : Léa rentrait chez elle en métro après une soirée passée dans un bar. Elle avait été sérieusement échauffée par le videur qui l’avait prié d’aller fumer sa cigarette -en silence- au bout de la rue. Après une vaine tentative de négociation (« Déjà je dois SORTIR pour fumer ma clope, et en plus il faut que je m’exile 200 mètres plus loin pour ne pas gêner l’entrée ?! Non mais tu as vu mes chaussures ? Tu crois que je peux cavaler avec des talons pareils ? Quoi, j’ai qu’à mettre des baskets ! Il faut prévoir une tenue de rechange pour aller fumer maintenant ? ») qui s’était soldée par une avalanche de remarques misogynes, Léa avait dû obtempérer.
Une fois dans le métro, elle regardait tristement ses orteils transformés en Knacki Balls par les escarpins (« 10 000 $ que c’est un mec qui a fabriqué ces chaussures »). Elle leva la tête pour compter le nombre de stations qui la séparaient d’une nouvelle séance de torture, et tomba nez à nez avec un sticker multicolore : « Préparer ma sortie facilite ma descente. ». Elle regarda autour d’elle, toutes les vitres du wagon étaient décorées par ces injonctions déguisées en sympathiques bulles de bande dessinée.
« - Non mais Basile, t’as vu ça ? Bientôt ils mettront des panneaux pour expliquer comment on doit marcher dans la rue ! Il faudra mettre son clignotant pour dépasser quelqu’un sur le trottoir !
- Ben oui… C’est la nouvelle campagne RATP, c’est pour que les gens aient un comportement plus civique…
- C’est plus possible, Basile. Aide-moi, on va les décoller.
- Tu es saoule.
- Parfaitement ! Je suis une fumeuse et une soiffarde : qu’on m’emmène au goulag !».
Léa se mit à gratter frénétiquement « 1 seconde perdue en station, c’est du retard sur toute la ligne ». Le wagon était presque vide, mais Basile avait choisi de faire semblant de ne pas la connaître. Malgré ses enthousiastes « Tous avec moi ! », Léa l’activiste ne recevait aucun soutien, pas un regard, pas le moindre sourire attendri. Arrivée place de Clichy, elle avait 3 stickers trophées dans son sac. Elle se demanda tout d’un coup s’il y avait des caméras dans les wagons, si des molosses l’attendaient à la sortie, on lui avait dit que les agents de sécurité de la RATP étaient les plus méchants de tous, bien devant les CRS… Son cœur de jeune révolutionnaire se mit à battre plus vite.
« Basile, couvre-moi ! »
Pendant qu’elle courait vers la sortie, Léa s’imaginait enfermée avec d’autres utilisateurs déviants des transports en commun, sa mère lui apportant des oranges qu’elle ne pourrait pas manger car elle serait en grève de la faim… Plus mal aux pieds, plus mal nulle part, Léa était galvanisée par l’esprit de la rébellion, elle volait dans les escaliers. Ils ne l’auraient pas cette fois, les salauds.

vendredi 27 février 2009

vendredi 20 février 2009

Peut-on échapper aux clichés ? Triste constat : moi, pas.



Ami lecteur, félicitations : cette fois, tu en es sûr, tu as rencontré la femme de ta vie. Au moins la femme de ta vie pour un temps, ce n’est pas moi qui te demanderais de former des vœux pour l’éternité. Mais tout de même, ce n’est pas rien ce qu’il t’arrive, aussi laisse-moi de donner quelques conseils.

1- Ta femme ne doit jamais douter de son pouvoir de séduction sur toi.
Ex : Nicole Kidman est passée devant la terrasse du café où vous êtes attablés, tu ne l’as même pas vue. C’est bien normal.
Ex : Ta femme se déshabille, elle ne doit pas avoir besoin de solliciter ton attention. (« Chéri…. Chéri ? Eh ! Oh ! Mais non, pas la télé ! Là ! Je suis là ! Oh ! »).

2- Ta femme ne doit pas avoir l’impression que tu t’attends à chaque instant à un dérapage de sa part.
Ex : Ne pas dire « qu’est-ce qu’il y a encore ? ». « Encore » augmente de 60% les chances de dispute.

3- Au lieu de demander, « qu’est-ce qu’il y a encore », tu feras un effort d’interprétation.
Ex : Quand tu dis : « Dis-donc je pensais à un truc pour ce week-end… », ta femme finit ta phrase dans sa tête « pourquoi est-ce qu’on ferait pas une petite escapade au bord de la mer ? On mangerait des huîtres et on ferait l’amour toute la journée, qu’est-ce que t’en dis ? ». Tu admettras que : « Je vais faire du skateboard à Chelles avec les autres. (…silence…) Tu veux venir ? », c’est moins sympa.
Ex : Quand tu dis « Attends, je reviens, j’en ai pour 5 minutes. », ta femme se dit « C’est pas vrai, il est parti acheter des fleurs, il a pas oublié, j’arrive pas à le croire. » Tu provoques une déception malgré toi quand tu reviens essoufflé : « Pfffou… j’avais plus de feuilles à rouler. Ça va, toi ? »

4- Tu ne dois pas tomber dans les pièges que ta femme te tend.
Ex : « Bon, c’est décidé, je me mets au régime, tu me coaches ? » est bien sûr une invitation purement théorique. Si tu dis : « T’es sûre que tu veux mettre du gorgonzola dans tes pâtes ? C’est pas très léger… », elle te répondra « Ta gueule ». Et tu l’auras pas volé.

jeudi 19 février 2009

Check-up : L’orthodontiste 2

Quatre ans après ma dernière visite au lémurien, et malgré le système de contention savamment mis au point par le dentiste traître, mon incisive commença à foutre le camp vers l’avant. Après m’être fait réprimander par le second (« Mais c’est pas possible ! Qu’est-ce que tu fais avec ta mâchoire ? T’es entrain de foutre en l’air tout notre boulot !), je dus retourner chez la première. Ce n’était que juste châtiment pour avoir fait toutes ces choses idiotes et dangereuses avec ma mâchoire : l’ouvrir, la fermer ; n’importe quoi.
Je trouvai le lémurien amaigri. Ses yeux menaçaient de sauter des orbites, et les sourcils s’étaient figés en position martyr (comme le chat dans Shrek). Elle jeta un coup d’œil à ma bouche :
« - Bon… Soit on remet des bagues… (ndlr : j’avais 22 ans, pas 14) Soit on enlève les 4 dents et on met un bridge à la place (ndlr : j’avais 22 ans, pas 87).
- …
- Voilà.
- Mais pour quelle raison la dent avance-t-elle ? Je n’ai jamais eu les dents en avant, pourtant ?
- Ah bah ça, pourquoi, pourquoi… Pourquoi j’ai eu une pneumonie ? Pourquoi je n’ai pas pu travailler pendant un an ? Pourquoi je suis endettée jusqu’au cou ? Pourquoi ? Pourquoi ? C’est comme ça, c’est la vie, qu'est-ce que tu veux que je te dise. »
Le lémurien était passé en mode « no future », et j’avais accumulé assez de jugeote pour prendre la décision qui s’imposait : fuir.
C’est ainsi que je fis ma première visite chez Orthodontiste 2. Elle s’occupait de mon petit frère, et elle ne lui avait jamais proposé d’arracher toutes ses dents pour en mettre des fausses parce que finalement c’est plus simple, elle semblait faire montre de plus de subtilité dans sa pratique. Et en effet, elle me proposa simplement une gouttière à mettre la nuit pour que la dent se replace toute seule. Elle y posa cependant une condition.
« Ça ne sert à rien de traiter sans s’attaquer à la source du problème. Et la question que je vous pose, c’est : qu’est-ce que vous faites avec votre langue ? ».
Elle me fit promettre d’aller consulter un nouveau docteur d’élite pour répondre à cette épineuse question. A suivre : la saga des orthophonistes.

Interlude

Jacques Martin avait raison, les enfants sont formidables.
Dans la queue du cinéma, un adolescent de 13 ans environ montre des signes d’agacement. Une dame arrive en courant, elle est essoufflée, elle l’aperçoit dans la file et le rejoint en trottinant sur ses talons.
« - Mais quessta foutu, fallait prendre les billets à midi ! T’as vu la queue ? On va rater le film là !
- Bonjour mon chéri. »
Elle s’approche de lui pour l’embrasser.
Il détourne le visage : « Quesstu fais, là ? »
Ils restent côte à côte sans parler.
« - Tu es allé au cinéma avec tes copains hier ?
- Nan.
- Tu l’as vu LOL ?
- J’te dis quj’y suis pas allé, ‘tain.
Puis plus bas :
- Pfff… LOL… Genre. »
Je suis émue par cette belle manifestation de communication intergénérationnelle. LOL.

vendredi 13 février 2009

Check-up : l’orthodontiste 1




Je me souviens bien de ce jour glorieux. Nous étions à l’Hippopotamus, j’étais sortie de table pour aller faire des renversements sur la rampe de l’escalier qui menait aux toilettes.
(Note aux non-initiés : un « renversement » est une figure pratiquée aux barres asymétriques. C’est l’une des options possibles pour le gymnaste lorsqu’il commence son enchaînement ; on appelle ça une « entrée »

).
C’est là que le miracle a opéré : ma dent est tombée. C’était la 1ère, et j’avais 8 ans. Tous mes petits camarades avaient déjà eu le temps de sévèrement se frotter à la petite souris. J’avais fini par en venir à la terrible conclusion que ça arrivait à tout le monde, mais pas à moi (une remarque récurrente puisque je me suis dit la même chose une dizaine d’années plus tard au sujet du sexe). Et pourtant, sous le regard taquin de l’hippopotame, c’est arrivé. J’étais si heureuse, j’exultais, le serveur m’a même offert deux ballons pour fêter l’événement, on peut dire que c’était un jour de fête.
Pendant des mois, aucun signe d’une dent d’adulte pour venir prendre la place de l’autre. Puis un jour, ma gencive accoucha d’un minuscule croc, pas plus large qu’un grain de riz. C’est d’ailleurs le nom que lui a donné mon dentiste, avant de l’arracher en m’assurant qu’une autre dent, une vraie, attendait derrière. J’étais un peu comme certains requins dont les dents se renouvellent tous les 15 jours, sauf que les miennes mettaient des années. C’est ainsi que je fis mon entrée dans le monde médical, et l’orthodontiste que je dus consulter à ce stade fut la 1ère d’une interminable série de docteurs d’élite.
L’orthodontiste n°1 s’exprimait surtout par le regard : ses yeux étaient écarquillés en permanence, et elle exprimait ses émotions grâce à une palette de froncements de sourcils absolument remarquable. Attentive, dubitative, amusée, touchée, déterminée : elle communiquait par ses sourcils comme les indiens communiquent par nuages de fumée. A mon entrée en 6ème, le vide laissé par le grain de riz était encore intact, et j’avais réduit les occasions d’ouvrir la bouche au strict minimum. C’est à cette époque que je commençai à développer une véritable obsession pour la dentition des autres, et plus que les filles qui avaient des seins ou les dernières Van’s, j’enviais celles qui riaient à gorge déployée. Mon orthodontiste tint à me montrer sa sollicitude, aussi me fabriqua-t-elle un faux palet dans lequel étaient plantées deux fausses dents qui viendraient masquer cette misère. L’appareil était hélas conçu de sorte qu’il m’était impossible de fermer la bouche quand je le portais, et il déclenchait en outre un afflux de bave impossible à maîtriser. D’autres échecs succédèrent à celui-là, et je dus endurer le lémurien jusqu’à ce qu’elle se décide à hisser le drapeau blanc et à enlever les bagues qui m’écartelaient la mâchoire. Elle m’annonça ce jour-là qu’elle ne maîtrisait pas bien la pose des fils de fer destinés à maintenir les dents une fois le traitement achevé, et me demanda si elle pouvait assister au spectacle quand mon dentiste se chargerait de cette touche finale. Je trouvai la requête incongrue, car à l’évidence c’était loin d’être son seul point faible dans l’exercice de son métier. Mais lorsque je les vis tous les deux penchés au-dessus de moi, échangeant œillades complices et froncements de sourcil sans équivoque, je compris tout. J’avais été la monnaie d’échange d’un sombre commerce sexuel entre eux : tu couches avec moi, je t’envoie mes patients. Les salauds.

mardi 3 février 2009

"Bonne" année


Réjouissons-nous, le mois de janvier est terminé, et il emporte avec lui les traditionnels vœux de début d’année. Curieuse tradition que celle d’ajouter « et bonne année hein ! » aux habituels « salut », « ciao » et « à plus » qui concluent généralement une interaction.

À 00H01, le ‘bonne année’ tonitruant et enthousiaste qui résonne dans la salle a quelque chose d’émouvant. L’esprit vagabonde dans les vapeurs de champagne : on mesure le chemin parcouru en 12 mois, on est heureux et plein d’espoir, on fait des déclarations intempestives à tous ceux qui sont à portée du déferlement d’amour que l’on sent en soi. Inévitablement, la formule perd de son impact à mesure que passent les jours. Si bien que le 31 janvier, ‘bonne année’ ne provoque plus aucune accolade ou larme à l’œil, sauf cas rares (et inquiétants).

On se moque, on trouve ça ridicule, mais soyons honnêtes : cette année encore et comme toutes les autres, chacun d’entre nous a répété 72 fois « bonne année », et avec le sourire la plupart du temps. Les authentiques activistes anti-bonne-année (« Je te souhaite une bonne année ! » « Ah ouais ? Et ben moi je te souhaite une année de merde. Pourrie. Une avalanche de tuiles. ») sont finalement chose peu commune.

Mais l’année 2009 se distingue des autres. Elle a donné naissance à une nouvelle forme de vœux : les vœux décourageants. C’est tout simple et à la portée de n’importe qui, il suffit d’ajouter des guillemets au mot « bonne », et on transforme immédiatement amitiés et bons sentiments en une sorte de prophétie funeste. Ecrire « bonne » année, c’est dire : je le dis, mais je trouve ça vraiment inepte de formuler pareils vœux alors que la société va à vau l’eau, que c’est la crise, que nous ferions mieux de tous nous immoler par le feu dès aujourd’hui tellement cette année va être difficile, infernale, terrible, on n’aura plus de travail, on croisera des gens qui poussent des charrettes sur le bord des routes, on aura les ongles sales, nos enfants contracteront le scorbut, une météorite va s’abattre sur la Terre, l’empire soviétique renaîtra de ses cendres, la crise de 29 c’était une sinécure à côté de ce qu’on va endurer, la Bérézina c’était une fête entre amis sur une plage en été.

Ça fonctionne aussi à l’oral, pour un effet tout aussi déprimant. Citons ici un présentateur radio dont je tairai le nom (pour l’avoir oublié) : « Bonne année à tous les auditeurs, enfin « bonne »… Je m’entends. ».

Question : quel intérêt ?

Suggestion pour 2010 (à l’endroit des cyniques, des pessimistes et des présentateurs radio) : abstenez-vous.

jeudi 29 janvier 2009

La question de l’inspecteur

« Mais qu’est-ce que vous faites ? »

Léa faisait partie de la catégorie des « autres ». Incapable de se réjouir lorsqu’un de ses amis lui apprenait qu’il avait eu son permis, elle arrivait tout juste à feindre un sourire crispé qui menaçait de se transformer en crise de larmes.

Léa s’était inscrite à l’auto-école cinq ans auparavant, et elle en était venue à la conclusion qu’elle n’avait pas les capacités psychomotrices nécessaires au pilotage d’une voiture. En outre, le permis de conduire était devenu au fil des années une source intarissable d’angoisse. Même pendant les longs mois où elle n’avait plus mis les pieds à l’auto-école sous des prétextes variés, le permis occupait toujours un coin de sa tête, comme une maladie en dormance. Et lorsqu’elle était venue à court d’excuses (« Ah bah maintenant que tu es au chômage, c’est super, tu vas pouvoir en profiter pour passer ton permis ! »), les leçons de conduite hebdomadaires avaient fait de sa vie un enfer.

Elle avait cours le mercredi, et commençait à avoir mal au ventre dès le dimanche soir. Elle ne prévoyait jamais rien le soir d’une leçon, car elle ne pouvait jamais savoir dans quel état les deux heures de cauchemar la laisseraient. Elle détestait Alain, son professeur, qui le lui rendait bien. Elle détestait son énorme ventre qui portait toujours les traces de son déjeuner : des tâches bien sûr, mais aussi des éléments solides (miettes de pain, morceaux d’œuf dur) arrêtés net dans leur chute par cette panse de femme enceinte de 16 mois. Elle détestait ses explications (« Il faut que vos yeux voyent, si vos yeux voyent pas, c’est normal que tu réagisses pas. Arrêtez-vous. »), et ne comprenait rien à ses conseils (« Il faut di-ver-si-fier son attention. » « … Il faut quoi ? »). Lui, de son côté, prenait le silence de Léa pour de la provocation. Il avait une méthode pédagogique qui consistait à laisser à l’élève le soin de terminer ses phrases (« Et là, qu’est-ce qu’on vient de croiser ? Un ? Un céder ? Un céder le pa- ? »). C’était une technique qu’il appliquait depuis 20 ans et qui avait fait ses preuves, qui était Léa pour refuser de s’y soumettre ?

Alain et Léa étaient au moins d’accord sur un point : ils n’étaient pas faits pour partager un habitacle, ne serait-ce que deux heures par semaine. C’est donc Patrick qui avait pris la suite d’Alain. Léa avait eu du mal à s’habituer au fait que Patrick lise à haute voix toutes les insignes/affiches/pancartes qu’ils croisaient (« Quincaillerie Legendre… De Fursac la griffe de l’homme… Une pizza offerte pour une pizza vendue… », etc. ), mais elle préférait encore ça à ses remarques homophobes à répétition.

Le jour du permis était enfin arrivé. Léa n’avait jamais été aussi stressée de sa vie, elle aurait préféré 100 fois avoir à repasser son bac. Un sosie de Jeanne Mas avait pris place dans la voiture, cheveux rouges et pantalon audacieux (carreaux devant, velours derrière), et surtout, un strabisme convergent qui aurait déstabilisé même le candidat le plus aguerri. Le 1er incident avait eu lieu 10 secondes après le départ, Jeanne s’était mise à hurler (« Mais qu’est-ce que vous faites ?!! ») quand Léa avait tourné à gauche. Quelques minutes après, au moment de la manœuvre, elle l’avait répété avec un ton de mère excédée (« Mais qu’est-ce-que vous faites… »). Elle avait même échangé une œillade complice avec le moniteur, Alain, assis sur la banquette arrière. Ils avaient l’air de partager la conviction que Léa était irrécupérable. À la fin de l’examen, Léa était sortie sans un mot, fidèle à son arrogance légendaire. Elle avait jeté un dernier regard en arrière pour voir Jeanne Mas et le gros Alain qui riaient ensemble, indifférents à sa misère. Bien sûr, elle ne l’avait pas eu. Les salauds.

samedi 24 janvier 2009

Le sujet du permis de conduire





« Eh les gars, ça y est, j’ai eu mon permis ! »

Passé un certain âge, le permis de conduire est un sujet qu’il faut amener avec précaution. L’assistance se divise en trois catégories.

Les provinciaux et/ou acharnés
Ceux-là ont obtenu leur permis à 18 ans et deux jours. Ils expliquent que la maîtrise d’un véhicule motorisé était une question de survie. Un peu comme les personnes qui vivent dans des pays en guerre ou dans des villes assiégées ; ils n’avaient pas le choix, pas question de tergiverser, il fallait l’avoir, un point c’est tout.
Dans la même catégorie, une espèce tout à fait différente : les acharnés. « De toute façon, c’est indispensable, il faut absolument avoir son permis dans la vie, donc autant faire ça au plus vite, tu vois, pour être débarrassé. J’ai demandé à mes parents la conduite accompagnée à 16 ans, et comme ça bim, 2 ans après on en parlait plus. » Ceux-là ont également ouvert un Livret A pour leurs enfants à naître d’ici 5 à 7 ans.

Les résignés
C’est le gros de la masse. Les membres de cette catégorie n’étaient pas forcément pressés de passer tout leur temps libre dans une salle obscure de 3m2 où un moniteur au pantalon déchiré à l’entrejambe fait réviser les questions du code de la route. Il a fallu un événement déclencheur pour qu’ils se décident à s’inscrire : une situation dangereuse (Greg s’est endormi dans son vomi, Jacques ne se souvient plus où il habite, et vous n’avez pas le permis), une situation frustrante (« Tata Renée ne se sert plus de sa voiture, elle m’a dit qu’elle voulait te la donner, c’est sympa, non ? Ah mais oui, que je suis sotte, c’est vrai que t’as pas ton permis… »), une situation dos au mur (« Parfait, vous commencez en septembre, bienvenu chez Joston&Co ! Vous avez votre permis bien sûr ? »). Ils ont donc fini par obtenir ce laissez-passer vers une vie meilleure, parfois au prix d’une addiction au Lexomil, mais ils l’ont eu.

Les autres
Et il y a les autres, ceux qui ne l’ont pas encore. Ce sont également des résignés, puisqu’il sont inscrits (parfois depuis 10 ans). Mais ils se distinguent de la catégorie ci-dessus en ce que cette démarche ne s’est jamais soldée par le terme « Favorable », mais au contraire par « Ajourné », « AJR » pour les inspecteurs les plus sadiques. Derrière chaque « autre » se cache une blessure, une histoire terrible liée au permis de conduire. Le sujet est lancé au cours d’une soirée, un garçon d’une trentaine d’années quitte la salle. « C’est Farid, il a passé son permis sept fois… Il s’est réinscrit en repayant tout, il en est à 4000 euros. Il a dû hypothéquer l’appart de sa mère… Non mais c’est pas de ta faute, tu pouvais pas savoir… ».

samedi 17 janvier 2009

La question en société, 1ère partie



« - Et toi, qu’est-ce que tu fais ? »

L’éternelle question. Léa savait que son interlocutrice n’attendait pas une réponse du type « Et bien là, je mange un bâton de céleri trempé dans de la sauce ». La question « qu’est-ce que tu fais » se rapportait bien sûr à une activité professionnelle, et c’était tellement évident qu’il était inutile d’ajouter « dans la vie » ou « comme métier ». C’était un raccourci parfaitement admis en société, et l’entrée en matière la plus communément utilisée pour commencer une conversation avec quelqu’un dont on vient de faire la connaissance.

Léa elle-même avait largement fait usage du « qu’est-ce que tu fais » au cours de sa vie, mais depuis qu’elle était au chômage, la question la mettait mal à l’aise. Les gens qui travaillent répondent sans hésitation, l’intitulé un peu obscur du poste étant généralement suivi d’une description succincte et apprise par cœur de leur activité quotidienne. Mais lorsqu’on n’a pas de travail, l’éventail des possibilités de réponses est infini. Selon son humeur et en fonction du degré de sympathie qu’elle avait pour la personne en face, Léa adaptait sa réponse.

Le mensonge était la mesure la plus facile à appliquer, mais elle n’était pas sans risque. Si Léa répondait qu’elle était éleveuse de golden retrivers, elle devait s’attendre à une avalanche de questions sur ce métier hors du commun. Et ses talents d’actrice ne la mettaient pas à l’abri d’une humiliation si la personne venait à discuter avec quelqu’un qui la connaissait et qui révélerait inéluctablement la vérité (« Léa ? La blonde là-bas près de l’halogène ? Mais elle n’est pas éleveuse de chiens, elle est au chômage ! »). Léa réservait donc ce mensonge aux soirées où il y avait beaucoup de monde, et où son interlocuteur avait peu de chance de tomber sur un de ses amis.

Léa pratiquait également l’embellissement de réalité. Elle affirmait avec conviction qu’elle avait quitté son travail pour mener à bien un projet personnel qui lui tenait beaucoup à cœur. Cette réponse provoquait généralement des réactions enthousiastes ; on louait son courage, on disait que c’était formidable de vivre sa passion jusqu’au bout. Seulement l’admiration tournait parfois à l’envie, voire à la jalousie. Les questions se faisaient alors plus pressantes (« Non, vraiment je trouve ça génial, mais comment tu comptes la financer ta galerie d’art ? Tes parents te prêtent de l’argent? ») et les anecdotes encourageantes pleuvaient (« Monter sa propre affaire, ne pas avoir de patron, c’est l’idéal, t’as trop raison. Mais c’est tellement de travail que moi, perso, je ne m’en sens pas capable. C’est vrai, mon oncle a ouvert un restau, et après deux ans il ne pouvait toujours pas se payer de salaire. En plus il bossait jour et nuit, sa femme l’a quitté, bref il a fait une tentative de suicide l’année dernière. Mais franchement, je trouve ça génial que tu fasses ça. »).

De toutes les réponses que Léa avait testées, la plus dangereuse était sans conteste la réponse sincère. Aucune des personnes à qui elle avait dit la vérité, à savoir qu’elle ne faisait rien, n’était parvenue à dissimuler sa gêne. L’interlocuteur cherchait généralement à donner une explication à la catastrophe (« C’est la crise, c’est super chaud de trouver du travail en ce moment »), de la minimiser pour les plus compatissants (« Non mais tu vas trouver, c’est sûr… Et puis c’est bien de prendre le temps de se poser, ça fait remonter les questions essentielles… »). Les moins éloquents ne savaient plus comment rebondir, et n’avaient d’autre choix que celui de laisser la conversation s’échouer (« Rien ? » « Non, rien » « … »). Dans tous les cas, l’interlocuteur finissait toujours par trouver une échappatoire et se précipiter hors de cette non-conversation insupportable. Léa s’était rendue compte que « rien » était pour le genre humain un répulsif plus puissant que la citronnelle pour les moustiques ou l’ail pour les vampires.

jeudi 15 janvier 2009

La question de la coiffeuse



« Qu’est-ce qu’on fait ? »

Léa connaissait bien cette question de la coiffeuse, elle essayait d’y répondre sans erreur depuis l’âge de 11 ans. Elle était affectée d’une couleur de cheveux qui l’avait amenée à multiplier les expériences ; ni franchement blonds, ni complètement châtains, ses cheveux éclaircissaient radicalement en été, la laissant le reste de l’année avec des racines que Florent Pagny n’aurait pas reniées. Elle était donc entrée assez jeune dans l’infernal cycle des mèches, balayages, flashes et autres « coups de soleil ». Arrivée à un âge passablement adulte, elle choisit son camp, et décida d’aller là où son cœur la portait, c’est-à-dire du côté de celles qu’on remarque moins, des discrètes, des châtains en somme. Elle était loin de s’imaginer qu’on abandonne pas le monde des bimbos aussi facilement, et que son parcours serait semé d’embûches.

Comme elle était encore étudiante, elle commença par se rendre au salon d’entraînement Jacques Dessange, où les futurs coiffeurs s’entraînent sur la tête des courageuses et des fauchées. Sa première tentative de châtain se solda par une sorte de roux que la coiffeuse nomma « bois ciré ». Celle-ci avait été chaleureusement félicitée par son professeur qui venait vérifier le résultat, et Léa n’osa pas dire qu’elle n’avait pas choisi sa couleur sur un pantonier Ikea.

Quand son pouvoir d’achat lui permit, elle alla chez Dessange, le vrai. Elle expliqua à Kathia, la coloriste, son désir de retrouver une couleur de cheveux plus naturelle (un paradoxe lorsqu’on s’apprête à faire une couleur, mais Léa savait qu’elle s’adressait à Dessange, l’inventeur du « blond bébé »). Kathia, tout en faisant sauter quelques mèches dans un geste que seuls les professionnels maîtrisent, affichait une moue sceptique.
« Mais ça vous va bien au teint cette couleur… Ce serait vraiment dommage d’abandonner le blond… Votre visage sera plus triste, moins rayonnant.. »
Léa avait beau essayer de défendre son choix, Kathia restait de marbre. Elle feuilleta un catalogue, et pointa un modèle aux cheveux franchement bruns.
« - Ça vous plait, cette couleur ?
- Non, là c’est quand même un peu trop foncé…
- J’en étais sûre ! Vous voyez, vous n’êtes pas prête. »
Léa était sortie de chez Dessange allégée de 180 euros, et toujours aussi blonde.

Même expérience avec Priscilla, chez Coiffirst. Priscilla l’avait immédiatement mise en confiance en l’assurant qu’elle avait très bien compris sa requête.
« On va avoir un résultat super naturel tu vas voir, ma belle. Tu as le cheveu fin, dis donc ! ».
Léa savait qu’il ne fallait pas demander : « Lequel ? ». Parler des cheveux au singulier fait partie du jargon des coiffeurs.
« Baisses la tête, tu comprends ma belle ? »
Léa comprenait bien, et commençait à se douter que Priscilla la prenait pour une conne. 120 euros plus tard, elle sortait de chez Coiffirst. Blonde. Nul doute pour Léa qu’il s’agissait d’un complot. Si décidée qu’elle fût à ne pas retourner chez l’un de ces pervers, la repousse des cheveux et les inévitables racines qui l’accompagnaient l’amenèrent pourtant à réitérer l’expérience, la mort dans l’âme. Et c’est ainsi qu’elle comprit comment certaines personnes en viennent à devenir des clients aigris, voire agressifs. Elle qui avait si souvent soupiré en entendant des gens faire des scandales (au McDo par exemple : « Ah oui, alors là bravo, FAST food, ah ça on peut dire que vous êtes fast vous ! »), elle accueillit sa nouvelle coiffeuse, Melissa, avec une déclaration de guerre :
« - Qu’est-ce qu’on fait ?
- Alors écoutez-moi bien. Je ne veux pas entendre parler de vos produits ‘qui gainent le cheveu sans l’alourdir’, ni du ‘coup de soleil qui donne un effet de volume’, et encore moins du ‘on coupe juste les pointes’ qui ajoute 60 euros à la note finale ! Je vous préviens, je ne plaisante pas du tout ! Je veux une non-couleur, je veux avoir les cheveux ternes et sans relief, et je veux sortir de cet endroit avec la certitude absolue que je n’aurai jamais à remettre les pieds chez vous, ou chez l’une de vos consoeurs avec un prénom qui finit en « a ». Vous ne m’aurez plus, c’est fini, vous m’entendez ? C’est fini ! ».

Pendant que Melissa était partie chercher ses produits, Léa réalisa que jamais une coiffeuse de cinq ans sa cadette et qui venait de se faire incendier sans raison ne la sauverait de sa misère capillaire. Elle l’imagina entrain de cracher dans la préparation, ou pire, entrain d’ajouter quelques gouttes de coloration rousse au mélange. Elle retira sa blouse et fila sans un mot.

Les coiffeurs l’avaient vaincu, elle abandonnait le combat. Elle n’avait plus qu’à assumer sa ressemblance avec Cindy Lauper. Les salauds.