mardi 17 mars 2009

La saga des médecins, Chapitre CVIII : l’orthoptiste

Je passe sur l’orthophoniste 2, un homme aux pouvoirs étranges qui en 10 minutes a réussi à me faire avouer l’existence de mon compagnon de toujours (« M », plus bas en photo dans son bain). Je refuse de penser que « M » a un rapport quelconque avec mes problèmes de dents, je préfère faire comme si je n’avais rien entendu, quelles que soient les conclusions qu’on peut en tirer sur ma maturité.


Définition de l’orthoptie : La vocation de l'orthoptiste est le dépistage, la rééducation, la réadaptation et l'exploration fonctionnelle des troubles de la vision. Sa fonction s'étend du nourrisson à la personne âgée.
L’orthoptiste fait pratiquer des exercices qui ressemblent (exactement) à ça :


« - Alors, Madame E (l’orthoptiste m’appelle madame, c’est ainsi) qu’est-ce qu’il se passe aujourd’hui ? Vous y arrivez moins bien que d’habitude… Vous êtes fatiguée ? Vous avez beaucoup travaillé ce matin ? »
J’ai dormi 11 heures et j’ai regardé Gossip Girl, est-ce que ça compte ? me demandé-je.
« - Détendez-vous bien les yeux. »
J’use de tout mon pouvoir de conviction : allez les yeux, repos ! On s’étire, on se calme, on respire à fond…
"- Maintenant, on essaie de converger, Madame E, c'est parti."

Grâce à l’orthoptiste, j’ai un nouvel élément à ajouter à la liste des choses que je ne sais pas faire.

Liste des choses que je ne sais pas faire :
- Je ne sais pas siffler, tous ceux qui m’ont vu essayer ne me regarderont plus jamais comme avant.
- Je ne sais pas crier « Wouhou ! » pour manifester ma joie à un concert. J’ai toujours la voix qui déraille. Je n’arrive à faire que « Yiiiha ! » comme un cowboy, mais c’est ridicule (sauf au spectacle Buffalo Bill à Disneyland, mais ça fait longtemps que je n’y suis pas allée).
- Je ne sais pas bouger mon annulaire sans bouger les autres doigts. Je trouve ça profondément triste de ne pas avoir de contrôle sur ses propres doigts.
- Je ne sais pas faire le pont.
- Et enfin,
je ne sais pas converger de loin.

Parfois, l’orthoptiste et moi, nous nous payons de bonnes tranches de rigolade :
« Vous avez une toute petite distance interpupillaire ! Comme les enfants ! C’est rigolo comme tout ! ».

mardi 10 mars 2009

L'épisode de dessin animé

Ligne 1 du métro parisien. J’étais appuyée contre un strapontin, le météor© filait à vive allure, quand soudain il s’est mis à freiner si fort que chacun s’est accroché pour ne pas chuter. Je n’ai pas eu le temps de contorsionner mon bras pour me retenir, et me voilà poussée par cette extraordinaire force centrifuge, je fais des petits pas malgré moi, je me dis « tiens c’est rigolo, je n’arrive plus à m’arrêter », je regarde à droite et à gauche, mais aucune barre ne vient à mon secours, et je continue mon parcours, je menace de m’échouer tranquillement sur les genoux de la dame assise en face (elle est dans le sens inverse de la marche, la veinarde, elle n’a aucun problème à rester assise sur son strapontin), je me dis « ben merde alors je vais traverser tout le wagon comme ça », et le métro qui n’en finit plus de freiner… Et là un gentil monsieur m’attrape par le bras pour mettre fin à la tyrannie des lois de la physique, et le métro s’immobilise enfin. « Ça va ? » me dit-il. Une scène digne de Titanic. J’ai dit « merci, ça va, oui ». Je suis retournée à ma place initiale en gloussant. Bien sûr et comme toujours dans ces cas-là, on est si démuni, même mon sauveur a repris la lecture de son journal comme si de rien, me laissant sombrer dans un fou rire solitaire. Je me suis dit que c’était quand même sympa le métro.

samedi 7 mars 2009

Check-up : L’orthophoniste 1

Le cabinet de l’orthophoniste 1 était minuscule. Il était meublé d’une minuscule table et deux minuscules chaises ; c’était très bizarre, et Alice-au-pays-des-merveilles (que je n’avais jamais vraiment portée dans mon cœur) eut soudain toute ma sympathie. Je m’attendais à voir arriver une personne de très petite taille, ou un enfant déguisé en docteur. Mais non, la dame qui entra dans la pièce avait 50 ans passés, et mesurait bien 1m55 (et je ne laisserai personne dire que c’est tout petit car c’est la taille moyenne de l’ensemble de ma famille, hommes compris). L’explication était ailleurs, et je la découvris bien vite. La dame s’assit sur la toute petite chaise en face de moi, et me posa la question suivante :
« Quel âge as-tu ? »
1- J’admettais volontiers que l’âge soit une donnée médicale importante, mais cette entrée en matière me parut suspecte.
2- Elle m’avait tutoyée d’emblée ; même si je me flatte d’une certaine bonhommie naturelle, c’était inhabituel.
3- Enfin, elle avait posé cette question avec le même ton que Chantal Goya.
Qui endure tous les jours autant d’outrages dans une même phrase ? Les enfants. Orthophoniste 1 ne recevait dans son cabinet que des enfants, et elle était secouée.



Elle s’empara d’un livre dont les pages faisaient ½ centimètre d’épaisseur, et l’ouvrit sur l’illustration d’une bouche où tous les éléments clé étaient fléchés. Après m’avoir rappelé ce qu’étaient le « palais »et « la « langue », elle me proposa une série d’exercices. Le premier consistait à répéter « chou-zi » une cinquantaine de fois en exagérant les syllabes. Puis elle me mit dans la bouche une vignette attachée à un fil, et me demanda de retenir la vignette à la force de ma langue en la pressant contre le palais, pendant qu’elle tirait sur le fil. A la fin de la consultation, elle me recommanda d’écraser des chewing-gums sur mon palais dès que j’en avais l’occasion pour muscler ma langue.
J’avais des doutes sur l’efficacité de ces techniques, mais l’orthodontiste 2 avait été formelle : sans rééducation de la langue, je serais forcée de porter ma gouttière 24H/24. Or, je travaillais à l’époque chez L’Oréal. Je m’étais déjà fait surprendre entrain de somnoler en pleine réunion, je ne pouvais pas prendre le risque de baver aussi. Quel sort m’avait-elle jeté pour que je retourne encore deux fois dans son antre de Minimoys avant de prendre rendez-vous chez un autre orthophoniste ? Les restes d’une fascination morbide pour Chantal sans doute…

mardi 3 mars 2009

Liberté - égalité - rétention des portes



Etait-ce à cause du chômage ? Etait-ce à cause de la crise (même la grand-mère de Léa lui avait livré son analyse: « Ah bah ça, c’est la cata dans tous les secteurs, entre les voitures, l’immobilier, l’automobile… »)? Léa radicalisait ses positions.
Samedi soir, minuit et demi : Léa rentrait chez elle en métro après une soirée passée dans un bar. Elle avait été sérieusement échauffée par le videur qui l’avait prié d’aller fumer sa cigarette -en silence- au bout de la rue. Après une vaine tentative de négociation (« Déjà je dois SORTIR pour fumer ma clope, et en plus il faut que je m’exile 200 mètres plus loin pour ne pas gêner l’entrée ?! Non mais tu as vu mes chaussures ? Tu crois que je peux cavaler avec des talons pareils ? Quoi, j’ai qu’à mettre des baskets ! Il faut prévoir une tenue de rechange pour aller fumer maintenant ? ») qui s’était soldée par une avalanche de remarques misogynes, Léa avait dû obtempérer.
Une fois dans le métro, elle regardait tristement ses orteils transformés en Knacki Balls par les escarpins (« 10 000 $ que c’est un mec qui a fabriqué ces chaussures »). Elle leva la tête pour compter le nombre de stations qui la séparaient d’une nouvelle séance de torture, et tomba nez à nez avec un sticker multicolore : « Préparer ma sortie facilite ma descente. ». Elle regarda autour d’elle, toutes les vitres du wagon étaient décorées par ces injonctions déguisées en sympathiques bulles de bande dessinée.
« - Non mais Basile, t’as vu ça ? Bientôt ils mettront des panneaux pour expliquer comment on doit marcher dans la rue ! Il faudra mettre son clignotant pour dépasser quelqu’un sur le trottoir !
- Ben oui… C’est la nouvelle campagne RATP, c’est pour que les gens aient un comportement plus civique…
- C’est plus possible, Basile. Aide-moi, on va les décoller.
- Tu es saoule.
- Parfaitement ! Je suis une fumeuse et une soiffarde : qu’on m’emmène au goulag !».
Léa se mit à gratter frénétiquement « 1 seconde perdue en station, c’est du retard sur toute la ligne ». Le wagon était presque vide, mais Basile avait choisi de faire semblant de ne pas la connaître. Malgré ses enthousiastes « Tous avec moi ! », Léa l’activiste ne recevait aucun soutien, pas un regard, pas le moindre sourire attendri. Arrivée place de Clichy, elle avait 3 stickers trophées dans son sac. Elle se demanda tout d’un coup s’il y avait des caméras dans les wagons, si des molosses l’attendaient à la sortie, on lui avait dit que les agents de sécurité de la RATP étaient les plus méchants de tous, bien devant les CRS… Son cœur de jeune révolutionnaire se mit à battre plus vite.
« Basile, couvre-moi ! »
Pendant qu’elle courait vers la sortie, Léa s’imaginait enfermée avec d’autres utilisateurs déviants des transports en commun, sa mère lui apportant des oranges qu’elle ne pourrait pas manger car elle serait en grève de la faim… Plus mal aux pieds, plus mal nulle part, Léa était galvanisée par l’esprit de la rébellion, elle volait dans les escaliers. Ils ne l’auraient pas cette fois, les salauds.